« … Petit papa Noel
Quand tu descendras du ciel
Avec des jouets par milliers
N’oublie pas mon petit soulier
Si tu dois t’arrêter
Sur les toits du monde entier
Tout ça avant demain matin
Mets-toi vite, vite en chemin.
Et quand tu seras sur ton beau nuage
Viens d’abord sur notre maison
Je n’ai pas été tous les jours bien sage
Mais j’en demande pardon… »
Ho Ho Ho, plus de doute, Noël approche ! Nos cœurs se remplissent d’amour et de générosité. Les magasins rivalisent de décors féeriques. Les maisons fleurent bon le vin chaud. On partage, on donne sans compter, le bonheur n’a pas de prix. Telle un marronnier, « Petit papa Noël » revient chaque année nous emmener dans les contrées lointaines de la Laponie. Joyeux Noël à vous !
Cette chanson est l’esprit même de Noël. Sa mélodie a bercé toute notre enfance. Qui ne la connaît pas ? Qui ne la chantonne pas dès les premières notes ? Mais avez-vous réellement fait attention aux paroles ? Ouvrez vos oreilles… C’est l’histoire d’un enfant qui fait une piqûre de rappel au papa Noël (#3615 J’existe) ; qui lui dit d’appuyer sur le champignon histoire d’être dans les temps (#3615 Chronopost) ; et surtout qui lui propose de commencer par sa maison au cas où (#3615 Ma tronche d’abord). Rien que ça ! Trop pragmatique ? Pas assez rêveur ? Certainement, parce que Noël a toujours été une grande énigme pour moi.
Plus jeune, je ne comprenais ni le pourquoi, ni le comment de cette fête. Cette piété et cette générosité soudaine, cette frénésie de consommation, cette surexcitation générale étaient un grand mystère à mes yeux. Et pour cause, on ne fêtait pas Noël à la maison. D’une autre génération, d’une autre culture et surtout de confession bouddhiste, mes parents ne connaissaient ni d’Eve ni d’Adam Jésus, Marie, Joseph. Ils avaient d’autres préoccupations, d’autres soucis à gérer. Leur principale priorité était de subvenir à nos besoins et de veiller à notre réussite scolaire. Du coup, ils n’avaient jamais pris la peine de m’expliquer le sens des différentes traditions qui font tout le charme de la France.
Imaginez donc ma surprise quand j’ai vu pour le première fois ce gros bonhomme rouge avec sa barbe blanche chez #Mammouth, notre supermarché du coin. Il me demandait si j’avais été sage, me prenait dans ses bras, voulait qu’on nous prenne en photo… Pourquoi faire ?
À l’école, la maîtresse m’explique enfin : « À Noël, on fête la naissance de Jésus, le divin enfant. On appelle « père Noël » le monsieur en rouge que tu as vu. Il vit au pays ses lutins en Laponie. Ils fabriquent des jouets toute l’année et le soir du 24 décembre, il descend du ciel sur son traîneau et distribue ces cadeaux aux enfants sages. »
Je résume pour être certain d’avoir tout imprimé. À Noël, on fête la naissance de bébé Jésus. Tout le monde y compris les animaux se rassemble dans une étable pour guincher… Le père Noël, relooké par Coca-Cola pour l’occasion, arrive de sa Finlande pour leur offrir plein de cadeaux sponsorisés par Mattel, Apple, Sony, Playmobil & Cie. Génial, j’achète ! Je me voyais déjà sur une montagne de jouets. Oui monsieur, j’ai été sage même plus qu’une image !
Mais les cadeaux ne sont jamais arrivés. Attente, déception, tristesse, ainsi fut ma nuit de Noël. Je ne comprenais pas son absence. Qu’ai-je fait de mal ? S’est-il perdu ? Tant pis, je ferais mieux l’année prochaine. Et les années trépassent sans que père Noël ne passe. Quant à mes amis, ils avaient, chaque année, de nouveaux jouets, de nouveaux cartables, de nouveaux vêtements. Depuis ce jour, Noël a toujours été une grande incompréhension, une grande frustration, une grande injustice.
En 1980, j’ai eu l’occasion de passer mon premier Noël traditionnel dans une famille française. Un sapin énorme et richement décoré de vert et de rouge trônait au milieu du salon. J’observais les adultes discuter du menu. Je regardais les plus jeunes envelopper leurs derniers cadeaux. J’étudiais leurs moindres faits et gestes sans n’y rien comprendre.
Durant le repas, je découvrais pour la première fois tous ces plats typiques d’un réveillon. Comment oublier cette chose verdâtre et gluante, cette grosse saucisse blanche et ces petits sandwiches au pâté qu’on essayait de me faire manger ? C’était des huîtres, du boudin blanc et des toasts de foie gras. À l’époque, j’avais détesté. Mais ça c’était avant ! Comme rien n’était à mon goût, je réclamais ma mère. Je pleurais jusqu’au moment du dessert. J’avais adoré ce gâteau en forme tronc d’arbre. C’était de la bûche 🙂
Vint ensuite la distribution des cadeaux. Ce n’est pas réservé au père Noël ?… Visiblement, j’ai été sage cette année. J’ai aussi droit à mon cadeau, une bande dessinée des Schtroumpfs. C’est quoi ces bonshommes bleus ? T’as pas reçu ma lettre papa Noël ? Ce réveillon m’a rendu encore plus perplexe. Je suis rentré à la maison dubitatif !
Avec le temps, je me suis habitué. Les gens font la fête, s’offrent des cadeaux, les maisons sont décorées… mais cette fête n’est pas pour ma famille, elle n’est pas pour moi ! Je me disais que c’était juste une soirée à passer, qu’il fallait prendre son mal en patience. Demain sera un autre jour !
Je détestais surtout les retours de vacances. Je devais faire face à mes copains qui exhibaient fièrement leurs cadeaux. Je redoutais cette fameuse question « Tu as eu quoi pour Noël ? » Intérieurement, je pleurais. Quand j’appris que le Père Noël n’existait pas, une joie euphorique s’empara de moi. Enfin un peu de justice ! Mais la joie n’a été que de courte durée car l’année suivante on me reposait inlassablement cette même question : « Tu as eu quoi pour Noël ? » Alors pour être comme tout le monde, je m’inventais des cadeaux, des cadeaux encore plus beaux.
En fait, j’ai passé mon enfance à ne rien comprendre aux fêtes, aux us et coutumes français. Je subissais. Il y avait un grand décalage entre ce que me disaient les copains et ma réalité. Un jour, en leur demandant naïvement d’où venait tous leurs bonbons, ces derniers m’expliquent que c’est la petite souris la bienfaitrice ; qu’à la nuit tombée, elle venait chercher les dents perdues qu’ils avaient soigneusement posées sous l’oreiller. En échange, elle leur laissait sucreries et argent pour les remercier. Et ils me montraient leur bouche. En effet, il manquait des dents. J’étais aux anges. Moi qui allait bientôt me faire enlever 9 dents de lait, j’allais toucher le jackpot. Et tout comme le père Noël, le petite souris a dû se perdre en route et les dents sont restés des jours sous mon oreillers.
Le 6 décembre, c’est la saint Nicolas. Ma ville organisait des animations à cette occasion. On devait récupérer un maximum de friandises pour un goûter géant à la salle des fêtes. Un grand Monsieur avec une barbe banche accompagné d’un autre vêtu de noir ouvraient le bal. Les enfants les suivaient de près. Ils scandaient tous en cœur « On veut des gâteaux, on veut des gâteaux » ; comme eux, je criais aussi. Je hurlais à en perdre la voix. Ils ont ensuite goûté ; je mangeais alors avec eux. Je ne me posais pas de questions. Je suivais la foule. Je les imitais. J’apprenais.
Idem pour les anniversaires; ma mère ne pouvait pas se permettre de fêter les anniversaires avec 8 enfants et faire de la couture en même temps. Elle se souvenait à peine de notre âge. Et le plus comique reste la fête des mères où je revois encore son regard éberlué devant mon poêle en terre cuite peint en jaune avec « Bonne fête maman » d’une écriture hésitante bavant de tout part. Elle est restée bouche bée devant la beauté approximative de ce cadeau et fut surtout surprise d’apprendre que c’était sa fête. Elle l’a pris et l’a posé à côté de sa machine à coudre. Je ne lui ai jamais refait de cadeau.
Depuis, les choses n’ont pas vraiment changé. Noël, les anniversaires, ne sont toujours pas pour moi. Je les fête par respect mais au fond de mon cœur, je ne ressens aucune joie. Bien au contraire, ces fêtes me rappellent les tristes souvenirs de mon enfance.
Aujourd’hui, ma famille et moi, célébrons Noël pour les enfants afin de leur éviter toute frustration. Pour nous les adultes, c’est avant une occasion de se réunir et faire la fête à la mémoire de nos parents.
Et cette année, ça se passe chez moi et on sera 21. Jésus, Marie, Joseph, comment je fais m’en sortir ! #HELP