BOAT PEOPLE : il était une fois à Bangkok [Part 4]

Les journées s’écoulaient paisiblement sur le navire. On reprenait peu à peu nos forces et nos esprits. On pensait à tout ce qu’on avait laissé derrière nous; on s’inquiétait du chemin qu’il restait encore à parcourir devant nous. Mais nous étions tous heureux d’être là, heureux d’être en vie. Et peu importe ce que l’avenir pouvait nous réservait, il ne pouvait être que meilleur. C’est certainement de là que vient mon côté optimiste et ma faculté à toujours aller de l’avant.

L’atmosphère était à la sérénité. Chacun vaquait à ses occupations. Certains pleuraient les proches qu’ils ne reverraient certainement plus jamais, certains rêvassaient, d’autres papotaient tranquillement.
Pour ma part, je dormais beaucoup. J’avais aussi besoin de récupérer. Mais je commençais à trouver le temps long, même très très long. Alors je gambadais partout. Cela me faisait penser au bon vieux temps (qui n’était pas si loin !) où je faisais la même chose sur le bateau de mon père.

Et à force de parcourir sur le bateau, un jour j’ai fait une découverte. C’est une anecdote qui me fait sourire à chaque fois que j’y pense. Elle concerne ma 2e soeur. C’est un secret 🙂

Comme je l’avais expliqué, ma famille était très respectée. Et visiblement, les officiers n’étaient pas insensibles au charme de mes soeurs. L’un d’eux avait sympathisé avec ma 2e soeur.
Un jour, j’entre en trombe sans crier gare dans la cabine de cet officier pour le saluer. Et là, qui vois-je, bras dessus, bras dessous? Ma soeur et lui. Hou ! les amoureux !!!! Pas intimidé pour un sou, je profite de la situation, pour lui demander une figurine posée sur son bureau. Déjà à l’époque !

Au bout, de quatre jours, nous accostons en Thaïlande. Tout était encore tout nouveau, tout beau. On découvrait les boat people. Et comme le commandant de bord avait prévenu les autorités thaïlandaises, nous sommes arrivés triomphants avec un accueil digne d’un épisode de « La croisière s’amuse« . Il y avait des cris, des rires, des cotillons partout. Tout le port était en fête. L’ambiance était euphorique.

Vendeuses Thaïlandaises - Janick Lederlé

Vendeuses Thaïlandaises – Janick Lederlé

Des gens sont venus nous donner des vêtements. Des vendeuses ambulantes nous offraient à manger. Il y avait une grande solidarité. Puis le calme est revenu. On devait rester à bord pour des raisons administratives. C’est demain que les choses vont se décider.

Le lendemain, beaucoup de gens sont montés sur le navire; des gens en costume, des gens avec des micros, des gens encore des gens. Pendant que mon père discutait avec un groupe micro à la main, les autres commençaient à faire la queue.
Mais que font-ils?. En fait, mon père était simplement interviewé par des journalistes comme il était le seul à parler français et anglais. Les hommes en costume étaient des représentants de différentes ambassades. Et les gens se mettaient dans la file selon le pays de leur souhait. Bien évidemment, la majorité espérait partir pour l’Amérique. Moi aussi, j’avais un oncle d’Amérique!

C’est un choix logique, un choix dicté par le coeur. Quand on fuit un pays communiste, on recherche forcément le contraire. Et quel nation s’est battue contre les vietcongs? Quel pays est anti-communiste? Quel état est le symbole du capitalisme? Et les États-unis ont été, sont et seront l’Eldorado à atteindre pour tous les vietnamiens. Alors osons ce rêve américain. In God we trust !

giao luu viet phap

Mais pendant que mon père attendait tranquillement, un événement est venu chambouler tous ses plans. Un événement qui n’arrive qu’une fois dans sa vie et qui va souder à jamais le destin de ma famille. L’ambassade française a eu vent de la présence de ma famille. Ils sont donc venus discuter avec lui.

 Touchée par notre histoire, impressionnée par notre courage, elle a proposé à mon père l’asile politique avec des promesses toutes aussi incroyables les unes que les autres.
On lui a promis un travail identique au même grade. On lui a promis un logement. On lui a promis la conversion de tous ses papiers en équivalence française (diplômes, permis de conduire, passeports…). Et s’il acceptait, on lui a encore promis que dans 3 jours nous serions en France (le temps nécessaire pour l’obtention d’un passeport provisoire).

SACRÉ DILEMME

  • D’un côté, la France, avec la certitude d’une travail, d’un logement et surtout d’une scolarisation pour nous; d’un autre côté, les US et repartir à zéro, sans aucune garantie.
  • Sécurité d’un côté; incertitude de l’autre.
  •  Partir dans 3 jours ou attendre des semaines, des mois voire des années dans un camp de réfugié?
  • Revoir mes grands-parents et la famille de mon oncle ou les oublier à jamais?

Adjugé, vendu ! La France cela sera! Il voulait l’Égalité, il voulait la Fraternité mais surtout il voulait la Liberté

Dans l’après-midi, un bus est venu nous chercher pour Bangkok. On séjournait dans un foyer provisoire. Mes parents avaient 3 jours pour nous préparer, pour nous faire beaux ! Ils ont vendus quelques bijoux et nous voilà dans les centres commerciaux…Pretty woman, walking down the street. Pretty woman, the kind I like to meet…Déjà à l’époque! Me voilà tout beau, tout frais avec mes pattes d’eph et mon faux cuir. Un vrai petit Bruce Lee !

06005122-photo-boeing-777-300-air-franceAllons enfants du Mékong, le jour du départ est arrivé…
La France a tenu TOUTES ses promesses, elle a été au delà de nos espérances…3 jours plus tard, nous étions en France où d’autres surprises nous attendaient

Notes
1.
Mes parents ont grandi durant la colonisation. Ils ont étudié dans des écoles françaises. Ils parlaient donc couramment la langue et leurs diplômes étaient par conséquent français.

2. Par la suite, c’était beaucoup plus difficile pour les vietnamiens. Si par miracle, ils atteignaient les côtes thaïlandaises après avoir échappés aux pirates, ils étaient parqués dans des camps pour réfugiés où ils pouvaient attendre des années avant d’être acceptés par un pays. Vers la fin, ils étaient même renvoyés directement au Vietnam.

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Ma sœur a réagit et il est intéressant d’intégrer son témoignage

« Me voilà la deuxième sœur, citée dans l’histoire. Puisque Thanh a révélé le secret, il vaut mieux dire la vérité. Dans la partie précédente, je vous ai raconté que j’étais sur une barque cassée en deux, qui s’éloignait du cargo japonais. Un chef des matelots a sauté dans la mer et est monté dans la barque. Nous étions 3 dans la demie barque qui coulait ( ma grande sœur, moi et le marin coréen). Ce dernier a tenté plusieurs fois de rattraper la corde lancé par ses collègues du cargo pour nous approcher. Le cargo a dû nous suivre dans tous les sens par la tempête. Après plusieurs tentatives, il a réussi et nous étions attachés pour que l’on nous tire dans le bateau. Pendant 4 jours, mon sauveur faisait très attention à moi. Il me donnait un oreiller, les serviettes pour que je dorme confortablement dans un pick-up.

Quand on est arrivé à Bangkok, il m’a demandé de venir dans sa cabine. Il souhaitait me parler. Là mon héros faisait une déclaration d’amour. Je pensais qu’il perdait sa tête et d’un seul coup il m’a serré pour m’embrasser. Et là, Thanh apparaissait, mon 2eme sauveur. Quand Thanh est parti, il m’accompagnait à mon pick-up comme si c’est chez moi. Ensuite il est allé voir mon père pour lui demander ma main. Mon père a refusé en disant sue j’étais trop jeune.

Deux personnes suivaient mon père pas à pas. Le premier est l’ambassadeur français pour le convaincre à partir en France avec toutes les belles promesses. Le deuxième est mon héros qui souhaitait m’épouser, essaie de convaincre mon père. Mon père disait que j’étais trop jeune, devais faire les études. Surtout pas question que je vive en Corée dont le nord est communiste. Un jour ça arrivera la situation terrible comme le V.N d’où notre départ dangereux. Mon père m’en a parlé, je n’étais pas amoureuse, et surtout pas penser à me marier dans une telle situation. Mon héros était triste, a pleuré. Ensuite il est parti faire le shopping. Il m’a acheté les fruits ( raisin, pomme, poire), un chapeau thaïlandais, affaires de toilette… pour que je parte en France. Je n’ai pas vu l’accueil que les thaïlandais nous a réservé mais mon grand frère m’a raconté à l’époque. J’avais du mal à croire.

Aujourd’hui je lis ce que Thanh raconte, c’est tout à fait la même chose.
Et je pense à mon héros, mon sauveur, je tiens à le remercier de tout mon cœur de m’avoir sauvée, de vouloir m’aimer une perdue, malade, sans force. Mon destin ne s’arrête pas là en devenant sa femme.

Merci Thanh de tomber du pic à l’époque, qui me dépannait bien.
Je n’ai pas de style comme Thanh mais vous m’avez bien compris, c’est le principal. »

BOAT PEOPLE : Partir ou rester ? [Part 1]

Saigon dans les année 70

Saigon dans les année 70

Aujourd’hui, je vis confortablement dans une grande maison à Roubaix. Je fais les choses selon mes envies sans me poser de questions. Je ne me pose pas de questions quand j’ai une frénésie de shopping. Je ne me pose pas de questions quand j’ai envie de voyager. Et je ne me pose toujours pas de questions quand j’ai envie de sortir. C’est ma dolce vita à la roubaisienne !

Et quand je pense à ma vie, je ne peux m’empêcher de penser à mes parents. Bien sûr j’ai étudié pour, bien sûr j’ai travaillé pour mais tout ceci je le dois aussi à mes parents.

Flashback : Saigon, avant 1977

Mes parents avaient mon âge, ou à peine quelques années de plus. On vivait dans l’aisance. Mon père était capitaine de la marine marchande. Ma mère n’avait pas besoin de travailler. Je la revois comme la maîtresse de maison donnant des ordres à notre domestique. Je la vois encore à décider des repas du jour, décider des tâches ménagères à faire. Dans mes souvenirs nous vivions dans une maison immense. Et elle devait l’être puisque c’est devenu une école maternelle après notre départ.

Le type d'uniforme que je portais

Le type d’uniforme que je portais

Mais à la différence de ma vie actuelle, nous étions en plein régime communiste. La guerre était finie. Les troupes américaines s’étaient retirées. Le Nord avait conquis le Sud. Hô Chi Minh était le héros national. Je portais l’uniforme pour aller à l’école. Je chantais chaque matin avec mes camarades sa gloire. J’étais devenu un enfant de la patrie.

Les fortunes étaient confisquées, les terres expropriées au nom du peuple ! Ma famille faisait partie de ceux-là. Je ne peux m’empêcher de penser qu’à l’âge où je mène une vie sans questions, mes parents ont dû prendre la décision la plus difficile de leur existence. Une décision qui allait radicalement changer le cours de leur vie quelle qu’en soit l’issue.

À l’époque, mon père n’avait qu’un souhait dans la vie; qu’on fasse de grandes études afin de nous garantir une vie encore meilleure que la sienne. Mais avec un régime de plus en plus répressif, l’avenir qu’il nous souhaitait s’assombrissait de jour en jour. Il était clair que cet avenir il ne l’entrevoyait plus au Vietnam.

Mais que faire? Partir et tout laisser derrière soi? Partir était synonyme de renoncement : renoncer à sa famille, à ses amis, à son confort, à ses biens. Partir, c’était prendre le risque de tout se faire confisquer par l’état en cas d’échec et de tous finir en prison. Partir, c’était aussi s’aventurer vers l’inconnu.

Que se passerait-il ensuite? Allait-il retrouver du travail? Aurait-il le même métier? Pourrions-nous nous adapter? Les questions étaient sans fin.
Il a longtemps hésité, refusant plusieurs propositions. Mes grands-parents ont même fini par partir avec ma tante et mon oncle aux États-unis sans nous.

Quelques années plus tard, il était devenu évident qu’il n’était plus possible de rester. Les réserves s’amenuisaient, l’inflation ne cessait de grimper et nous risquions tous, mes frères et moi, de finir dans l’armée. Mon père a donc pris LA DÉCISION. La décision qui allait à tout jamais sceller notre destin.

Bien sûr, je ne me doutais de rien à l’époque. Mais en grandissant, je revois des souvenirs, des détails qui me permettent de comprendre que mes parents étaient tout simplement en train de préparer un plan d’évasion. Je revois encore des groupes d »hommes, des inconnus venir à la nuit tombée et discuter secrètement avec mes parents. Les portes étaient fermées, ils chuchotaient.

Le plan était prêt. Nous allions nous échapper par la mer. Et je pense que ces gens mystérieux devaient être les propriétaires du bateau et mon père négociait certainement le prix de notre évasion. Je comprends pourquoi, un jour mes parents, nous ont empêché de jouer dans la cour. Curieux, j’ai regardé en cachette ce qu’ils faisaient. Ils creusaient un trou près d’un arbre et en sortaient un paquet. Cela avait l’air sympa comme jeu. Moi aussi, j’aurais aimé jouer. En réalité, ils ont déterré un trésor caché. Et ce trésor était notre billet de sortie : des lingots d’or.

Les prix étaient ainsi fixés. La date programmée. Nous allions enfin partir du Vietnam. Mais j’étais trop jeune pour être dans la confidence. Seuls mes grands frères et soeurs le savaient. Mes parents m’ont expliqué qu’on allait chez mon oncle. Ok on va chez tonton. On prendra le train. Je me disais : « tiens, normalement, on prend la voiture ». Mais bon, qu’importe, je n’avais jamais pris de train alors let’s go !

Me voilà donc dans le train. Tiens, on n’est pas tous ensemble. Où sont les autres? Bà nội (ma grand-mère paternelle) ne vient pas? Je n’ai pas l’habitude. Je commence à pleurer. Mon père m’achète des bonbons à un marchand ambulant. Whaoo!! c’est cool, je souris et me calme aussitôt. Le train démarre.

J’étais à mille lieues de penser qu’on était entrain de s’évader…Nous sommes en 1977.