Aujourd’hui, je vis confortablement dans une grande maison à Roubaix. Je fais les choses selon mes envies sans me poser de questions. Je ne me pose pas de questions quand j’ai une frénésie de shopping. Je ne me pose pas de questions quand j’ai envie de voyager. Et je ne me pose toujours pas de questions quand j’ai envie de sortir. C’est ma dolce vita à la roubaisienne !
Et quand je pense à ma vie, je ne peux m’empêcher de penser à mes parents. Bien sûr j’ai étudié pour, bien sûr j’ai travaillé pour mais tout ceci je le dois aussi à mes parents.
Flashback : Saigon, avant 1977
Mes parents avaient mon âge, ou à peine quelques années de plus. On vivait dans l’aisance. Mon père était capitaine de la marine marchande. Ma mère n’avait pas besoin de travailler. Je la revois comme la maîtresse de maison donnant des ordres à notre domestique. Je la vois encore à décider des repas du jour, décider des tâches ménagères à faire. Dans mes souvenirs nous vivions dans une maison immense. Et elle devait l’être puisque c’est devenu une école maternelle après notre départ.
Mais à la différence de ma vie actuelle, nous étions en plein régime communiste. La guerre était finie. Les troupes américaines s’étaient retirées. Le Nord avait conquis le Sud. Hô Chi Minh était le héros national. Je portais l’uniforme pour aller à l’école. Je chantais chaque matin avec mes camarades sa gloire. J’étais devenu un enfant de la patrie.
Les fortunes étaient confisquées, les terres expropriées au nom du peuple ! Ma famille faisait partie de ceux-là. Je ne peux m’empêcher de penser qu’à l’âge où je mène une vie sans questions, mes parents ont dû prendre la décision la plus difficile de leur existence. Une décision qui allait radicalement changer le cours de leur vie quelle qu’en soit l’issue.
À l’époque, mon père n’avait qu’un souhait dans la vie; qu’on fasse de grandes études afin de nous garantir une vie encore meilleure que la sienne. Mais avec un régime de plus en plus répressif, l’avenir qu’il nous souhaitait s’assombrissait de jour en jour. Il était clair que cet avenir il ne l’entrevoyait plus au Vietnam.
Mais que faire? Partir et tout laisser derrière soi? Partir était synonyme de renoncement : renoncer à sa famille, à ses amis, à son confort, à ses biens. Partir, c’était prendre le risque de tout se faire confisquer par l’état en cas d’échec et de tous finir en prison. Partir, c’était aussi s’aventurer vers l’inconnu.
Que se passerait-il ensuite? Allait-il retrouver du travail? Aurait-il le même métier? Pourrions-nous nous adapter? Les questions étaient sans fin.
Il a longtemps hésité, refusant plusieurs propositions. Mes grands-parents ont même fini par partir avec ma tante et mon oncle aux États-unis sans nous.
Quelques années plus tard, il était devenu évident qu’il n’était plus possible de rester. Les réserves s’amenuisaient, l’inflation ne cessait de grimper et nous risquions tous, mes frères et moi, de finir dans l’armée. Mon père a donc pris LA DÉCISION. La décision qui allait à tout jamais sceller notre destin.
Bien sûr, je ne me doutais de rien à l’époque. Mais en grandissant, je revois des souvenirs, des détails qui me permettent de comprendre que mes parents étaient tout simplement en train de préparer un plan d’évasion. Je revois encore des groupes d »hommes, des inconnus venir à la nuit tombée et discuter secrètement avec mes parents. Les portes étaient fermées, ils chuchotaient.
Le plan était prêt. Nous allions nous échapper par la mer. Et je pense que ces gens mystérieux devaient être les propriétaires du bateau et mon père négociait certainement le prix de notre évasion. Je comprends pourquoi, un jour mes parents, nous ont empêché de jouer dans la cour. Curieux, j’ai regardé en cachette ce qu’ils faisaient. Ils creusaient un trou près d’un arbre et en sortaient un paquet. Cela avait l’air sympa comme jeu. Moi aussi, j’aurais aimé jouer. En réalité, ils ont déterré un trésor caché. Et ce trésor était notre billet de sortie : des lingots d’or.
Les prix étaient ainsi fixés. La date programmée. Nous allions enfin partir du Vietnam. Mais j’étais trop jeune pour être dans la confidence. Seuls mes grands frères et soeurs le savaient. Mes parents m’ont expliqué qu’on allait chez mon oncle. Ok on va chez tonton. On prendra le train. Je me disais : « tiens, normalement, on prend la voiture ». Mais bon, qu’importe, je n’avais jamais pris de train alors let’s go !
Me voilà donc dans le train. Tiens, on n’est pas tous ensemble. Où sont les autres? Bà nội (ma grand-mère paternelle) ne vient pas? Je n’ai pas l’habitude. Je commence à pleurer. Mon père m’achète des bonbons à un marchand ambulant. Whaoo!! c’est cool, je souris et me calme aussitôt. Le train démarre.
J’étais à mille lieues de penser qu’on était entrain de s’évader…Nous sommes en 1977.