
Source : http://lavachesanstache.blogspot.fr/
Mon dernier voyage en Corée m’a fait prendre conscience d’une chose : je serai toujours considéré comme un étranger où que je sois. En France, je suis l’étranger qui s’est bien intégré. En Asie, je suis l’étranger aux traits asiatiques.
Depuis enfant, je n’ai jamais cherché à revendiquer ma différence. Bien au contraire, j’ai toujours voulu être Monsieur Tout le monde, celui qui se fond dans le décor. Je cherchais à m’intégrer comme mes parents m’ont si bien appris à le faire. J’y ai investi toute mon énergie au point de négliger ma propre culture.
Très vite, j’ai appris le français. Mon père nous a d’ailleurs acheté le manuel du savoir-vivre afin de connaître les bonnes manières. Cela explique peut-être mon côté précieux ? J’écoutais tous les tubes du moment. J’étais toujours à la mode. J’ai même fini mon adolescence avec une permanente et des mèches blondes. J’avoue, j’étais déjà une fashion victim !
Tout bien réfléchi, je pense que je ne cherchais pas consciemment à m’intégrer. J’étais bien trop jeune pour comprendre ce concept. C’était tout simplement instinctif, un réflexe inconscient de faire partie d’un groupe afin d’exister, afin de me protéger.
J’ai tout fait pour faire partie de ce groupe. J’ai intégré sa culture, j’ai étudié son histoire, j’ai adopté ses coutumes, j’ai appris sa cuisine… En apparence, je semblais avoir parfaitement réussi mon challenge. Mais au fond de moi, je suis toujours resté ce petit vietnamien déraciné. Je me suis toujours senti comme le vilain petit canard en marge des autres. Je ne me suis jamais vraiment senti chez moi. Il m’arrivait d’envier mes amis étrangers au type caucasien. Tout me semblait plus simple pour eux. Je me comparais souvent à Rémi. « … Je m’appelle Rémi, je suis sans famille… »
Aujourd’hui, je parle parfaitement le français avec une pointe d’un accent normand pour faire plus authentique. Le vietnamien est devenu une langue étrangère. Je suis toujours branché hits du moment. Je n’ai plus de permanente, les cheveux blancs ont remplacé les mèches blondes et je fais toujours attention à ce que je porte. J’avoue, je suis resté une fashion victim !
Je peux imposer le respect, susciter l’admiration, inspirer la sympathie mais je suis toujours différent. Cette différence est physique, elle est visible. Je la porte en moi, elle est mon apparence. Il n’est pas rare qu’on me parle en anglais dans les magasins à Lille. Visiblement le cliché du touriste japonais avec son appareil photo perdure !
2008 fut une année marquante. J’avais décidé de retourner au Vietnam. J’allais retrouver mon pays natal, mon chez moi. Enfin, je serais dans mon élément. Enfin je me sentirais comme un poisson dans l’eau. Quelle naïveté, quelle désillusion ! Tout me séparait des vietnamiens locaux… j’étais trop gros, j’avais un accent, j’avais les habitudes d’un français. Je n’étais plus eux, j’avais perdu tous les repères de ma terre d’origine! Je découvrais le pays et ses coutumes avec le regard d’un touriste. J’étais au Vietnam, ce que le Canada Dry est à l’alcool. « Ça ressemble à l’alcool, c’est doré comme l’alcool… mais ce n’est pas de l’alcool »
Les vietnamiens, non plus, ne me considéraient pas comme un des leurs. Ils nous appellent les « Viêt Kiều », les étrangers d’origine vietnamienne. Nous, les « Viêt Kiều », nous suscitons la jalousie, la convoitise. Nous sommes vus comme des prétentieux venus étaler notre richesse. Nous leur rappelons leur échec, leur pauvreté. J’étais ainsi réduit à une valeur marchande. Les gens me culpabilisaient en me racontant toute leur misère. Si je craquais, d’autres venaient. Si je refusais, j’étais égoïste car eux n’ont pas « ma chance ». J’étais aussi l’espoir d’un avenir plus radieux pour d’autres. On me draguait sans vergogne.
Dans les autres pays d’Asie où je suis allé (Hong Kong et Corée du Sud), j’étais tout de suite étiqueté comme touriste. Il y a un signe qui ne trompe pas : mon teint! Trop bronzé, je n’entre pas dans les canons de beauté asiatique. Du coup, on me parlait directement en anglais. C’est une évidence, en Asie, je suis toujours sans famille !
Mais alors, à quelle nation j’appartiens ? Celle qui m’a vu naître ou celle qui m’a adopté ? Qu’est-ce qui définit mon appartenance ? Mes origines, mon pays d’accueil, mes références sociales, mes repères culturels ? Dois-je me considérer comme un vietnamien en raison de mon apparence physique ou dois-je me considérer comme un français dès lors que mon cerveau raisonne à la française, parce que je réfléchis, je pense et je rêve en français ?
Je n’ai pas la réponse et je ne veux plus le savoir car cela n’a plus d’importance. L’important est de se sentir à son aise. Rémi claironnait « … Ma famille à moi, c’est celle que j’ai choisie… ». Et mon cœur a choisi. Il a choisi le Nord. Il a choisi Roubaix. Il a choisi d’être Ch’ti.
Il nous mis dans une cage escalier (5 personnes) en nous disant de rester tranquille car on est repéré par les Viêt Conf ( policier communiste). On n’a pas mangé, on avait du mal à respirer dans un petit espace. A 20h, une fille est venue nous chercher, on l’a suivi de loin dans le noir ( pas de lampadaire comme en ville). On traversait un village de pêcheur, on est arrivé a une maison en feuille de cocotier, rebelote attente infernal sans pouvoir manger.
A 2h du mat, on suivait qqn dans le noir complet, il y a du vent fort, les vagues sont hautes Comme un immeuble ( force 7, 8), on nous a dit Vous voyez la petite lumière jaune là bas, c’est une barque. Il faut nager jusqu’à la bas pour monter dans la barque. Tout le monde s’avance dans la mer. Il fallait nager jusqu’à la barque et non marcher dans la mer. Les femmes, les petites filles criaient, hurlaient de peur, de ne pas savoir nager… Il n’y a plus aucune discrétion, si un communiste est là, on serait toutes fusillés. Mon père a payé des pêcheurs pour amener ma mère, mes soeurs. Je me débrouillais pour arriver et monter dans la barque, on m’a poussé dans la cale de poisson, rempli de monde. Dans le noir complet, j’entendais mes cousins. Pendant 3 jours, on était arrosé en permanence par la tempête.
Chacun a juste un espace étroit sans pouvoir tendre les jambes. Je n’ai rien à manger sauf un morceau de glaçon pour ne pas avoir soif. Sans manger mais je n’arretais pas de vomir. On vomissait sur le voisin et inverse mais je vous assure ça ne salissait pas, car on avait une douche en permanence par la tempête. Je ne voyais ni mes parents ni mes frères. J’étais incapable de me lever ni parler. Tout ce que je sais faire est de vomir par le mal de mer, la barque bougeait à mort.
Thanh ne savait rien de ce départ. Les grands non plus. Ma mère ne connaissait pas plus que nous. C’est le secret complet, une certaine aventure vers la mort que l’on a accepté pour quitter les communistes. »