D’une baguette à l’autre…

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Me voilà en Normandie, au Val de Reuil, ma ville bien aimée. La ville où je vais passer la meilleure enfance qu’on puisse imaginer. À l’époque, elle s’appelait encore Le Vaudreuil Ville Nouvelle. Comme son nom l’indique, elle faisait partie des 9 villes nouvellement créées suite à un projet d’urbanisation dans les années 1970. Elle était donc parfaite pour ma famille, une nouvelle ville pour une nouvelle vie ; une ville à bâtir pour une vie à construire.

La ville était un vaste chantier, toutes les maisons n’étaient pas encore disponibles. Nous nous sommes donc installés provisoirement au « foyer des 4 soleils », un foyer pour jeunes travailleurs. Ce n’est que 3 ou 4 mois plus tard que nous avons pu emménager dans notre home sweet home. Nous étions un peu à l’étroit mais c’était NOTRE maison, une maison entièrement meublée Conforama 70s. Les mêmes meubles que j’ai retrouvés, un jour, en allant déjeuner « Chez Charlotte » à Roubaix. Que de souvenirs, que de nostalgie !

Pour ma mère, la transition a été assez rude au début. Elle a dû du jour au lendemain s’occuper seule des 8 enfants. En effet, au Vietnam, tout était plus simple pour elle. Elle avait des domestiques pour l’assister au quotidien. C’est pourquoi mes parents avaient quitté le pays avec une bonne, pensant naïvement qu’elle pourrait continuer à les aider. Mais ça ne s’est pas du tout passé comme prévu, celle-ci a vite compris que la France était un pays de liberté et elle est vite partie faire sa vie de son côté. Et elle avait bien raison !

Du coup, ma mère, cette dame bourgeoise, a dû se mettre au travail, d’autant que mon père avait repris son métier de Capitaine dans la marine marchande, et était absent des mois durant. Non seulement elle a dû s’occuper seule de nous, et aussi compléter les revenus du foyer en devenant couturière à domicile. Encore merci pour tout Maman !

Malgré leurs préoccupations, mes parents n’avaient pas oublié leur objectif premier : nos études. Les choses sont alors devenues plus sérieuses pour moi. Il fallait nous préparer pour la rentrée scolaire des vacances de Noël. Le but était de faciliter notre intégration afin de suivre une scolarité correcte.
Pour mener à bien cette mission, ils se sont transformés en véritables « tortionnaires » de l’éducation. Les vacances étaient bel et bien finies. Ainsi donc commence mon apprentissage de la vie !

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Chacun avait un rôle spécifique. Mon père m’apprenait les bonnes manières et ma mère le français. Il m’a appris comment me tenir à table. Il m’a expliqué qu’en France, on ne mangeait pas dans un bol mais dans une assiette et qu’on ne devait plus la tenir dans la main. Ouf, j’ai eu peur car c’est super grand et lourd ! J’ai dû abandonner les baguettes et les remplacer par des couverts. Il restait derrière moi, et mettait consciencieusement le couteau dans la main droite, la fourchette dans la gauche en prenant soin de poser l’index sur le dos des couverts afin les maintenir fermement. J’ai aussi appris l’existence d’un autre type de baguette : le pain, cette fierté française connue dans le monde entier et qu’on utilise comme un 3e couvert pour saucer l’assiette !

Ces choses si simples du quotidien qui vous apparaissent comme une évidence, j’ai dû les apprendre une à une. Et ce n’était pas toujours facile. Je n’étais pas habitué à ces couverts, je ne « ressentais » plus ce que je mangeais, et j’avais l’impression d’utiliser des outils de bricolage.

Ma mère de son côté m’enseignait le français. Et elle avait une technique bien à elle, une technique originale mais je suppose que c’est ainsi que ses parents, eux-mêmes instituteurs, lui ont appris le français… Elle nous faisait copier des lignes et des lignes jusqu’à ce qu’on les mémorise. Ma sœur et moi les copiions sans fin et sans en comprendre un traître mot. Et quelle ne fut pas ma surprise quand j’ai commencé à comprendre le sens réel de ce qu’on écrivait !

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En effet, quand on débute dans une langue, les premiers mots qu’on nous apprend sont habituellement « bonjour », « comment ça va ? », « merci beaucoup » voire des gros mots. Que la personne qui n’a pas fait ça, me jette la première pierre !
Ma mère, elle, me faisait copier et apprendre par cœur « les élèves ne sont pas sages, la maîtresse les punit ». J’étais super fier de moi, je pouvais enfin parler le français. Je répétais sans cesse cette phrase comme une litanie.

Le jour J est enfin arrivé, j’étais fin prêt pour aller à l’école. J’entrais, un peu intimidé, dans ma nouvelle classe de maternelle. Les débuts ont été très difficiles. Oui, je savais me tenir à table mais ils avaient oublié de me prévenir qu’on ne mangeait pas du riz à la cantine, que ce n’était pas bon, que le camembert ça puait… Oui je comprenais un peu le français mais tout le monde parlait bien trop vite et n’avait pas l’accent vietnamien de ma mère…

Malgré ces perturbations, cela n’a pas pris longtemps pour me faire une bande de copains. C’était assez comique quand j’y repense ; on jouait, on s’amusait mais en silence car personne ne se comprenait. Un jour, je décide de leur parler et imaginez leur tête quand ils ont entendu ma litanie « Les élèves ne sont pas sages, la maîtresse les punit ». Mon 1er grand moment de solitude ! Je vois encore ma sœur me dire « Je pense qu’il faut arrêter de dire cette phrase, ça ne doit pas être gentil ». Tu m’étonnes et encore merci maman !

Donne-moi ta main et prend la mienne…
Les grandes vacances sont arrivées. Mais nous, on ne partait pas en vacances. C’est une habitude typiquement française et mes parents ne connaissaient pas tous ces usages (Tiens, une idée pour un autre billet). De toute façon, on n’avait ni le temps et encore moins les moyens. De toute façon, je ne parlais pas encore assez bien le français et il fallait me préparer pour mon entrée en CP. Tu parles de vacances ! Chaque jour, je devais apprendre à lire et à écrire. La télé m’a aussi beaucoup aidé. Vive « Dorothée et ses amis » et « Récré A2 » où je me suis fait des amis comme Félix, Casper, Casimir, Candy…

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Ma grande sœur a aussi pris le relais. Elle m’enseignait les maths. J’ai appris à faire les additions et soustractions. Il faut croire qu’un enfant apprend très vite car en CP, j’étais le seul de la classe à savoir lire, écrire et calculer dès la rentrée ! Super efficace votre méthode !

Cette éducation a marqué toute mon enfance. Aujourd’hui encore, quand je tiens mes couverts, je fais attention à bien poser l’index ; quand je parle, je dis rarement des grossièrement et je fais très attention aux mots que j’utilise. Merde, c’est vrai quoi ! Oups, pardon papa et maman !

BOAT PEOPLE : Oh la la… C’est beau la France [Part 5]

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Il est 7 h, Paris s’éveille…

11 jours de voyage, 12 heures de vol et 14 000 km plus tard, nous voilà enfin en France, nous voilà à l’aéroport d’Orly… Ça grouille dans tous les sens. Il y a du monde partout. Les gens marchent vite. Ils parlent entre eux, je ne sais pas trop ce qu’ils se disent. Ce brouhaha permanent commence à me faire tourner la tête. Je décide alors de sortir prendre un peu d’air. Bonjour Paris…Bonjour le choc thermique. Il fait super froid, ici! Pour la 1ère fois de ma vie, j’ai la chair de poule. Je me précipite à l’intérieur pour me blottir contre mon père. Et c’est à ce moment qu’a été prise cette incroyable photo de ma famille attendant tranquillement à l’aéroport.

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Saigon-Paris – 14 000 km (googlemap)

Nous sommes ensuite amenés dans un foyer à Épinay-sur-Seine. Ce n’est pas encore notre destination finale. Ce n’est qu’une étape, le temps de régler toutes les formalités administratives. Combien de mois, combien de jours y sommes-nous restés? Je n’en ai pas la moindre idée. Mais jamais je n’oublierai ces moments. Mes plus beaux souvenirs datent de cette époque. Je découvrais avec mes yeux d’enfant la France. Chaque chose était une découverte, chaque jour me réservait des surprises.Tout me paraissait incroyablement démesuré. Je contemplais ce monde qui m’entourait. Je faisais attention au moindre détail.

Je passais des heures la tête en l’air à admirer les gratte-ciels. Je m’allongeais sur l’herbe et j’imaginais ce qu’on pouvait ressentir d’en haut; j’essayais en vain de compter les étages sans y parvenir. C’est normal, je ne savais que compter jusqu’à 10 !

Je passais des heures à monter et à descendre les escalators. Je marchais, je courrais, j’allais à contre-sens, je m’asseyais sur la rambarde… je faisais tout ce qui me passait par la tête. Je tombais, et je me faisais mal mais je continuais car je m’éclatais comme un fou. Je faisais la même chose avec les ascenseurs. J’appuyais sur tous les boutons. Je montais, je descendais. Je remontais, je redescendais…Et encore maintenant, dès que je suis dans un ascenseur, j’ai cette envie d’appuyer sur tous les boutons !

Je passais des heures à regarder un groupe d’adolescents. Ils me fascinaient. J’observais leurs moindres faits et gestes. C’était surprenant de les entendre parler sans comprendre un seul mot. Cela devait être cool puisqu’ils rigolaient sans arrêt. Ils mangeaient des oranges en faisant un trou afin d’en presser le jus alors que ma mère elle les épluchait. C’est certainement la façon cool de manger les oranges. Et longtemps, j’ai mangé les oranges comme eux ! Ils faisaient de la mobylette, ils avaient un magnétophone et écoutaient de la musique (Sunny ou Ma baker de Boney M, je crois). Ils étaient trop cool et moi aussi je voulais être cool. Because Daddy cool !

À force de les regarder, ils se sont pris d’affection pour moi et m’ont adopté dans leur groupe. Ils m’ont donné une orange. Ils m’ont promené sur leur porte bagage. Ils me disaient des choses, je ne comprenais toujours rien mais je souriais parce que je me sentais bien. J ‘étais un grand, j’étais devenu cool !

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Mon frère, de son côté, n’a pas perdu son temps non plus. C’était un vrai filou ! Je ne sais pas comment il a fait mais il a vite compris le potentiel des bouteilles consignées. Il m’a expliqué qu’on pouvait les échanger contre de l’argent. Décidément, ce pays commence vraiment à me plaire! Quel drôle d’idée de jeter de l’argent, il ne faut pas gâcher. Alors on faisait tous locaux à poubelles pour ramasser notre trésor.
Une fois échangé contre de l’argent, il m’explique qu’il y a un endroit avec plein choses qu’on pourrais acheter grâce à notre argent. Ça s’appelle un supermarché 🙂

Il m’y emmène, c’est la révélation. C’est la plus belle chose qui me soit arrivée jusqu’à présent. C’est la plus belle image de ma vie, mon plus beau souvenir de la France. Je suis dans le rayon confiseries. Il y a en avait des bonbons, de toutes sortes, de toutes les couleurs. VOUS, vous voyez de simples sucreries mais MOI, un petit garçon du tiers monde, je vois le paradis! La France est un gigantesque rayon de bonbons. La France, c’est le pied! J’ADORE LA FRANCE. Papa, on ne s’évade plus, je reste ici. Je ne bouge plus !

Aujourd’hui, je chéris chaque instant, chaque souvenir de cette époque car ils me rappellent d’où je viens et me font apprécier la valeur de chaque chose même les plus simples.

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Mon père de son côté, n’a pas chômé non plus. Il passait son temps dans les paperasses. Comme pour la Thaïlande, nous avons eu un accueil très médiatisé. Il a été interviewé, il y a eu des articles sur nous. France Inter a beaucoup fait pour ma famille. Je me souviens encore de tous ces objets publicitaires qu’ils nous ont donnés. Ma famille et moi étions devenus des hommes-sandwich pour France Inter. On a porté les t-shirts, les coupe-vents, les sacs à dos. On écrivait avec leurs stylos. Et c’est grâce à eux mon père a pu retrouver son ancien patron à Marseille. Et deux mois après, il a été embauché. On nous a alors trouvé une ville et une maison pour nous y installer. Nous voilà au Val de Reuil, une ville nouvelle de Normandie en pleine construction. C’est le début de l’hiver.

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Finies les vacances! Mes parents se sont transformés en véritables tortionnaires de l’éducation. Il fallait que je sois prêt pour aller à l’école après les fêtes de Noël. Ainsi commence mon apprentissage du français…

NOTES
1. La photo en couverture a une valeur sentimentale inestimable. Elle a été prise par un journaliste. C’est la 1ère photo de ma famille à notre arrivée en France à l’aéroport d’Orly. Je suis le petit garçon à gauche, toujours souriant ! Mon père, au centre, semble soulagé. Mais si on regarde attentivement, on devine sa fatigue car il a été très éprouvé moralement et physiquement par cette épreuve.

2.  J’ai vécu une histoire exceptionnel! Une anecdote de 11 jours qui a changé le cours de ma vie. Mais l’aventure n’est pas finie, je continue de la vivre intensément au quotidien à Roubaix, ma ville d’adoption. Et je ne remercierais jamais assez tous ceux qui ont croisé notre route, qui nous ont aidé et qui m’ont permis de faire de ma vie ce qu’elle est aujourd’hui.